Cet été, j’ai pris des vacances. De vraies vacances, pour la première fois depuis bien longtemps. Être vide de préoccupations et obligations. Avoir du temps pour faire seulement ce qu’il me plaisait de faire. Lire, écrire, marcher sur la plage, nager, manger du poisson, voir des amis. Un luxe que j’avais oublié. Pour une fois, je n’avais pas de livre à rendre, d’épreuves à corriger, de coachings à donner, de vacances à organiser pour la famille, d’horaires à respecter, de listes à rayer. Et je me suis demandé : est-ce que j’aurais envie d’écrire ? Si oui, que vais-je vouloir écrire ?
Cette question s’inscrit au terme d’un long et douloureux processus de questionnement intime sur l’industrie du livre, la place qu’elle fait (ou ne fait pas) à l’auteur, le sens de « produire » du livre etc. Curieusement, ce questionnement s’est accompagné d’un autre processus de réflexion —celui-ci joyeux— sur le cheminement créatif. Plus je réalisais (tardivement) que le but final de l’industrie du livre n’est pas de faire vivre des œuvres (et accessoirement des auteurs) ni même de vendre des livres et certainement pas de donner à lire en qualité, plus je creusais les méandres et merveilles du processus créatif.
Cet été, j’ai tout laissé ouvert. La possibilité d’écrire. La possibilité de ne pas écrire. Et même celle de ne plus écrire, jamais. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Après une semaine de farniente où j’ai compris la différence entre se reposer et se détendre, le désir d’écrire était là. Les Éveilleurs. Encore et toujours Les Éveilleurs! Ils sont là, tout est là, toujours, courant sous ma peau, coulant dans mes rêves, en écho de mes lectures, en filigrane de la réalité. C’est comme un monde derrière le monde. Il suffit de pousser la porte et je retrouve les personnages, les voix, les décors, les enjeux. Et les portes sont multiples : regarder l’horizon, marcher sur la plage, observer des enfants jouer, les arbres danser. Être. Simplement. Quand je suis, j’ai envie d’écrire.
J’ai donc replongé dans ce fleuve, ce flow. Pendant un mois et demi, j’ai repris les notes, les schémas, les tableaux, les fichiers. Plus de 100 fichiers. Des millions de caractères. Plus de 60 personnages. 20 ans d’écriture. A chaque fois que je m’immerge dans ce fleuve, je me dis qu’il est trop grand, trop fort, trop long, qu’il va m’emporter trop loin, que je ne parviendrai pas à nager jusqu’à l’autre rive. Cet instant de panique passé, je m’abandonne, j’accepte de flotter, couler, nager, sur le dos, sur le ventre, accrochée à une branche, puis à une autre. Je vois ma peau se transformer, les écailles apparaître, les nageoires pousser, les branchies s’emplir d’un autre souffle. Je me transforme. En Claris, Jad, Blaise, Ugh, Maya, Bahir, Eben, Chandra, Tierra, Merlin, les empathes, Athéna, Le Gris, Chien, Longue-Vue, et tous les autres. Je deviens arbre-église, sizyf, bézoard, dolly, ange… Et, surtout, j’écoute. J’écoute la musique du fleuve, ce rythme interne qui murmure : c’est par là…
Je suis rentrée de vacances et l’autre réalité a repris ses droits. Travail alimentaire, paperasse, factures, démarches administratives, rentrée scolaire etc. J’ai mis le fleuve en sourdine. À nouveau. Cela m’est toujours pénible d’interrompre le cheminement de l’écriture. Surtout s’agissant des derniers tomes. À chaque fois, c’est comme refaire démarrer un disque dur. Empêchée de demeurer dans l’écriture, je ne suis pas à ma place. Je sens le fleuve rouler en toile de fond, je sais qu’il m’attend, j’ai besoin d’y aller. Mais je ne peux pas.
Mais, cette fois, c’est différent. Le long processus de digestion de la réalité de l’industrie du livre est arrivé à son terme. J’ai vu, j’ai vécu, j’ai compris. Et je m’en suis détachée ! En d’autres mots : je m’en fiche. Désormais, je me fiche d’être publiée par Machin ou Bidule. Je me fiche d’être publiée tout court. Ce n’est pas le plus important. Cela ne l’a jamais été. Je suis revenue à l’essentiel qui vibre et croît en moi depuis mes 10 ans : écrire. Écrire ce que j’ai à écrire, voilà l’essentiel. Et parce qu’il s’agit des Éveilleurs : donner à lire. Le cadeau inattendu que m’ont fait Les Éveilleurs ce sont les lectures et les échanges avec les lecteurs. Ces échanges sont simples, riches et vrais. Comme le fleuve. Ils ont ajouté à la joie d’écrire celle d’être lue avec attention et intention. Voilà l’essentiel : écrire et donner à lire. Pas le reste. Quel soulagement ! Quelle légèreté ! Quelle liberté !
Ainsi, j’écris Les Éveilleurs. J’écris quand j’ai une semaine devant moi pour ne pas flinguer le disque dur à force de re-démarrages. Je l’écris à mon rythme, à son rythme. Et quand ce sera terminé, quand ce sera bien, je vous le donnerai à lire. D’une façon ou d’une autre. J’aurai sûrement perdu des lecteurs en cours de route, la si longue route de ce récit. Les choix comportent des risques. Je comprends que c’est long, trop long d’attendre. Cela m’inquiète et m’attriste de vous faire attendre, cela me rend folle d’avoir à attendre pour écrire. Mais je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour conjuguer ces différents mondes, ces différentes réalités. Ce récit est ainsi. Et il m’a choisie pour l’écrire. Peut-être choisirez-vous de le lire…
Que le Temps Rouge vous soit joyeux !
P.A.
10 commentaires
Très beau texte, Pauline. Ça ma fait du bien de le lire! Merci. On t’attendra, car on sait qu’il vaut la peine!
Merci, Alice !
Cela me fait du bien que cela te fasse du bien ! Oui, allons vers ça ! beijo
Je vien de connaitre les éveilleurs et je n’ai jamais devorer autant de livres en si peu de temps. Et c’est avec patience et enthousiasme que j’attend la suite qui sera sans aucuns doute aussi agreable et sujet au voyage et a l’imaginaire que les precedents.
Bonjour Lucie,
Merci pour ton message et bienvenue dans l’univers des Eveilleurs !
Si tu parcours le site, tu y liras de nombreux articles sur la saga ainsi que beaucoup d’échanges (sur le blog de l’accueil) depuis des années avec ses lecteurs. J’espère qu’ils t’aideront à patienter pendant que j’écris les derniers tomes.
Et reviens m’écrire quand tu veux, ce site est celui des lectrices et des lecteurs !
Je te souhaite un beau Temps Blanc
P.
Bonjour Lucie !
Merci pour ton message et bienvenue dans l’univers des Éveilleurs !
L’enthousiasme et la patience des lecteurs nourrissent mon enthousiasme et calment mon impatience de vous voir tenir entre vos mains les derniers volumes de la saga !
Tu auras bientôt des nouvelles des Eveilleurs ici.
A bientôt !
Je vais avoir le plaisir de relire les 4 tomes cet été et de rêver en attendant le 5ème !
Votre écriture ne s’oublie pas, on vous attend !
Bel été à vous !
Bonjour Christine,
Relire et rêver : merci pour ces mots !
Les Eveilleurs se mettent en place, se remettent en place, ils prennent leurs quartiers d’été.
J’espère que je parviendrai, un jour, à mettre en place ce projet que je caresse depuis si longtemps : donner à lire l’écriture des Eveilleurs « en direct » à ceux qui le souhaitent.
Ce matin, je suis avec Maya. Elle t’envoie ses sincères salutations.
Je te souhaite un Temps Jaune radieux !
P.A.
Bonjour Charlotte,
J’ai répondu à votre message il y a un moment mais je n’en vois pas trace ici.
Je vous réponds donc à nouveau pour être sûre que vous me lirez.
Je ne dirais jamais trop à quel point les témoignages de lectrices et de lecteurs qui ont découvert les Eveilleurs au collège ou au lycée et qui m’écrivent encore me touchent profondément. Et ce pour plusieurs raisons parmi lesquelles le fait que n’ayant moi-même jamais renoncé à terminer d’écrire cette saga, malgré 6 ans d’interruption douloureuse, cela me fait chaud au coeur de savoir que vous serez au rendez-vous. Depuis octobre, je suis à nouveau immergé dans l’univers et, parfois, je me dis que je suis complètement dingue. Être dingue à plusieurs est toujours plus rassurant 🙂
Vous avez si bien fait de m’écrire ! Ce site est pour vous, il a été pensé pour être un espace d’échanges privilégiés avec les lecteurs. J’ai à coeur —depuis mon vieux blog— de répondre à chacun. J’aurais adoré pouvoir le faire avec les écrivains que j’aimais. Croyez bien que chaque message que je reçois est un injection d’énergie heureuse pour continuer à écrire les deux derniers tomes de la saga.
J’ai une question : avez-vous lu les 4 tomes des Eveilleurs ou seulement les deux premiers? Car un des petits miracles de cette aventure est que les lecteurs relisent la saga à des âges différents et m’écrivent pour dire qu’ils y ont trouvé d’autres choses. Alors, évidemment, je suis curieuse de savoir si c’est votre cas.
Les Chroniques de Borges ne sont pas seulement en fin de volume mais elles sont présentes également en cours de récit. Je me disais justement qu’il faudrait les publier toutes ensemble dans les prochains tomes car, comme vous le suggérez, elles « résument » de façon plus factuelle ce que les personnages les plus avertis savent des Temps d’Avant.
J’espère être bientôt être plus régulièrement présente sur le site et donner des nouvelles de l’écriture en cours.
Elles seront également relayées par les réseaux sociaux (FB et Instagram).
Je serai heureuse de vous y rencontrer et de continuer cette conversation.
Merci pour le courage que vous m’envoyez et pour celui de m’écrire et à bientôt !
P.S. La formule que vous citez est une phrase de Robin Hobb dans son formidable « Assassin Royal », je vais m’empresser de vérifier que je l’ai bien informé dans Les Eveilleurs.
Coucou !
J’ai découvert les Eveilleurs en 5e (j’avais 12 ans) et je suis maintenant en train de terminer de passer mon Bac… Et ta série n’a cessé de m’accompagner pendant toutes ces années, sans jamais que je ne m’en lasse… J’ai dû lire chacun des tomes au moins 5 fois et maintenant j’économise pour m’acheter les tomes 3 et 4 pour arrêter de les emprunter trop souvent à la médiathèque ! Je suis prête à attendre la suite aussi longtemps qu’il le faudra car je suis sûre que ce temps-là n’en rendra la lecture que plus agréable !
Prends soin de toi et profites bien du solsiste du Temps Jaune !
Un moineau sur sa branche
Bonjour, Moinelle !
Merci beaucoup pour ton mail.
J’espère que le bac s’est bien passé. Ma fille a aussi passé le sien, cette année.
C’est une transition importante, n’est-ce pas?
Ton message me fait énormément plaisir.
Savoir que les lecteurs relisent les livres est un vrai bonheur.
Pour info, ils ont été re-publié en poche, tous les volumes doivent être disponibles maintenant au prix du poche.
J’espère que cela t’aidera.
Bonne route à toi, petit moineau 🙂