Follow your bliss !

Ça caille! Le givre crisse sous mes pas, tandis que je vais allumer le chauffage dans la cabane glacée. Mais le soleil est là. Vraiment, le soleil fait toute la différence. En  attendant que la cabane se réchauffe, j’entends Keneth Branagh à la radio dire « Hercule Poirot voit la vie comme elle devrait l’être. » J’ignorais que Poirot et l’Odalisque étaient si proches! Voir la vie comme elle devrait l’être (on pourrait discuter sur ce « devrait »: devrait pourquoi, devrait pour qui etc.) ce n’est pas du déni mais de l’optimisme. Et l’optimisme est un muscle qui se travaille. Certes, les prédispositions sont des auxiliaires précieux mais les meilleurs athlètes sont surtout les plus tenaces. L’optimisme c’est suivre sa vision intérieure, la voix qui murmure en nous: c’est ça que tu veux faire, là que tu veux aller, c’est ce qui te rend heureuse, ce qui fait sens pour toi. « Follow your bliss », disait le grand Joseph Campbell. Tous les jours, en traversant le jardin, j’exerce mon optimisme. C’est moins du courage que de l’attention et de la persévérance. C’est assez simple en réalité: si, depuis que j’ai 10 ans, poser un stylo sur un papier pour inventer une histoire, me téléporte dans un état de bliss où la vie est exactement comme elle doit être, si écrire abolit le temps mieux qu’un vaisseau spatial, si cela me fait voir et entendre des choses fabuleuses sans prendre de drogue, pourquoi ne le ferais-je pas? Ça, c’est une affirmation réaliste. A cela on peut répondre: il ne suffit pas d’aimer ce que tu fais, il ne suffit pas de le faire bien, tu dois gagner ta vie, la précarité menace, es-tu sûre que ce que tu écris est bon, et si tu ne trouves pas d’éditeur, et si les lecteurs ne sont pas au rendez-vous, est-ce que les gens lisent encore, est-ce que ça a un sens d’écrire de la fiction aujourd’hui etc. Ça c’est également la réalité. Mais quand la seconde affirmation assombrit la première, la met en doute au point de faire chanceler un vérité personnelle indéniable, alors il est temps de sortir les armes, de fourbir ses muscles et d’exercer l’optimisme : allumer le chauffage dans la cabane et travailler. Se mettre au travail est, pour moi, la meilleure réponse, l’imbattable bouclier. Les moments les plus difficiles, les doutes les plus entêtés, les angoisses les plus boueuses, sont vaincus par le travail. Écrire de la fiction est un acte d’optimisme. Je vais donc de ce pas plonger dans le troisième chapitre où je retrouve Tierra l’Engrillagée et Ellel sur les routes, accompagnées de… Attendez, je ne suis pas sûre encore… Il faut que je regarde dans la carriole car je crois que quelqu’un y dort. Oui, en effet… Tiens ! Lui ? Mais que fait-il là ? Belle journée d’optimisme à vous !

Être à la fois la barque, le pilote et les flots

D’accord, j’ai manqué à mon engagement de tenir un journal quotidien de l’écriture des Eveilleurs. J’y ai cru à fond pendant huit jours. Avant de réaliser que je ne pouvais que tenir ce journal comme j’ai tenu tous les autres: selon le rythme intérieur. Dans un journal, on écrit parfois tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, parfois on n’écrit pas. Comme un récit, comme la vie, un journal est aussi tissé de silence, de vide conscient, de temps. C’est une explication que j’ai déjà utilisée mais elle est sincère : je n’ai pas écrit parce que j’écrivais. Le fleuve des Eveilleurs m’a happée tout entière. J’aurais dû m’en douter. Et vous aussi 🙂 Des semaines sont passées dans les plans et les scénarii, les notes, la relecture des différents volumes. J’ai eu la sensation de piétiner, de glisser, de m’enfoncer. J’ai toujours cette sensation quand j’attaque un nouveau tome des Eveilleurs: que je m’attaque à quelque chose de plus grand que moi. C’est peut-être vrai de tout élan de création nécessaire: plus grand que nous et en nous. Je sais, aujourd’hui, que ce sont des étapes qu’il faut accepter d’égrener, elles construisent le travail. Pour ce tome 6 en particulier, il y a aussi le défi lancé par l’éditrice. Toujours intéressant d’essayer de se servir des contraintes pour gagner en liberté. Au fil du travail, les dialogues ont surgi sur le clavier, les personnages ont colonisé les jours et les nuits. Soulagement du retour de la narration. Premier chapitre amorcé. Pour me rendre compte qu’il s’agissait plutôt du second chapitre. Pendant que je n’écrivais pas ici, j’étais comme et avec Blaise dans sa grotte: méditation, notes sur la paroi, jeûne (lui, pas moi), réflexion, structuration, dialogue éclairé avec Athéna. Je viens de passer 15 jours avec Blaise dans sa grotte pour écrire un chapitre qui sera lu en quelques minutes. J’adore ça, je trouve ça beau ! Quand le Mandarin est enfin sorti de la grotte, le récit avait retrouvé son flux, cette musique qu’il faut à la fois écouter jaillir et façonner. J’ai initié ce blog en 2010 avec une idée en tête: prendre contact avec les lecteurs qui ne comprenaient pas pourquoi ils devaient attendre pour lire la suite de l’histoire, leur dire en quoi le temps de l’écriture et de la lecture étaient différents, les prier de prendre la lecture en patience. Il y aura ainsi des accélérations, des piétinements, des fulgurances et des doutes. Et cette sensation frissonnante chaque matin: traverser le jardin dans le Temps Blanc, entrer dans la cabane et retrouver ce fleuve mystérieux, être à la fois la barque, le pilote et les flots. Et espérer, à travers la brume et la nuit du Temps Blanc, la promesse de lecteurs à l’horizon. Pardon à ceux qui se sont inquiétés de mon silence. Merci de l’avoir dit, de toujours m’accompagner. Prenez soin de vous en ce Temps Blanc, ce temps de passage ! P.S.  Le calendrier 2007, épinglé dans la cabane pendant l’écriture du premier tome des Eveilleurs, y est toujours. Athéna endormie.

Levedad

La façon dont les artistes travaillaient et parlaient de leur quotidien m’a toujours intéressée. Je suis allée piocher ces livres dans ma bibliothèque. Ou plutôt dans les diverses petites bibliothèques organisées « par langue » (écrivains français, lusophones, anglophones, italiens, hispanophones etc.) ou par thèmes d’intérêt (poésie; Iliade et Odyssée/Grecs; Merlin/Table Ronde; lecture/écriture; mémoire; temps etc.). Il y a les livres du couloir, ceux de la chambre, ceux de la cabane. En cherchant ceux qui parlent de l’écriture, j’ai été prise d’une furieuse tentation de tout réorganiser. Tentation à laquelle j’ai fort heureusement résisté. Je garde cette activité pour une période où j’aurai besoin d’injection de bonheur immédiat. Organiser, ouvrir, humer mes livres est comme revenir dans sa maison d’enfance et redécouvrir des pièces, des passages, des souvenirs. Mais c’est une autre histoire… Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un livre, enfin deux, bref… Avant de décider de réunir les livres qui parlaient d’écriture, je cherchais un livre en particulier: Seis propuestas para el milenio. Un livre d’Italo Calvino découvert dans une librairie à Barcelone et lu en espagnol. Le volume réunit six conférences écrites en anglais  que Calvino s’apprêtait à donner aux Etats-Unis (Six memos for the next millennium) quand il est décédé. La très belle édition espagnole (Ediciones Siruela) reproduit une page manuscrite écrite par Calvino. Donc: un écrivain italien qui écrit en anglais et que je lis en espagnol 🙂 1. Lightness; 2.Quickness; 3. Exactitude; 4. Visibility; 5. Multiplicity; 6. Consistency. Le mot « Consistency » est à demi effacé. Calvino n’a jamais écrit la sixième conférence. Consistance reste donc transparente et inachevée. J’ai lu la première conférence, « Levedad », la première fois en 1989, elle m’avait tellement marquée que je n’ai jamais pu aller au-delà. Chaque fois que je reprends ce livre, je relis « Levedad ». Je décide de me procurer le livre en français et découvre que le titre est devenu Leçons américaines. Leçons !? Mais pourquoi ? Le titre original est tellement plus intéressant. Internet et les livres étant ceux qu’ils sont, je lis un bel article de François Bon (son blog est une mine!) sur le livre de Calvino et j’y pêche le titre d’un autre livre : Manuel d’écriture et de survie (Ed. Seuil). Ce que je lis est alléchant. Je ne connais pas l’auteur. Je le commande. Le petit livre à couverture rouge de Martin Page est arrivé en début de semaine dernière. Dès les premières lignes, j’ai su que ce serait un de ces livres qui accompagnent. Je l’ai économisé. Me forçant à n’en lire que quelques pages par jour, le matin, avant de me mettre au travail. C’était parfait, la lecture de Page inaugurait la journée de travail de la meilleure manière qui soit. J’ai souligné, dessiné des sourires, des exclamations, des « oui », des interrogations. Avec la merveilleuse sensation d’être d’accord et de ne pas être d’accord. De trouver des échos et des différences. Celle de dialoguer. Je pourrais en citer de nombreux passages parmi lesquels je choisis ceux-ci: « Quand on écrit pour les enfants, on écrit d’abord pour soi… Ensuite, on découvre qu’on écrit pour les enfants qui ne sont pas écoutés. On les fait rire, on les étonne, on entretient leur enthousiasme (et le nôtre), on leur donne des nouvelles de l’avenir, et sans doute essaye-t-on de les préparer à l’affronter. On donne aussi des conseils à l’enfant et à l’adolescent qu’on était. On lui dit qu’il n’est pas seul (un des seuls dialogue possibles est le dialogue avec le passé) […]. Les livres pour enfants sont des livres pour adultes. C’est logique, ils ont été écrits pas des adultes. Les enfants les lisent, ce qui prouve leur ouverture d’esprit et leur intelligence, mais les adultes devraient aussi se les approprier. Ne pas le faire, c’est passer à côté d’une part importante de la littérature. […] «  Merci, Martin Page ! P.A.

J’ai reçu les épreuves de La Vraie Vie de l’École !

Les épreuves se suivent et ne se ressemblent pas. J’ai reçu aujourd’hui celles de LA VRAIE VIE DE L’ÉCOLE, le prochain roman à paraître chez Nathan. Enfin, « prochain »… La parution est prévue pour septembre 2018. Un an, donc, entre ces premières épreuves et l’arrivée en librairie. Le temps des livres, de temps de la vraie vie. « Épreuves ». Je ne me souviens pas d’entendre un collègue dire qu’il aime cette tâche. Peut-être parce que les corrections d’épreuves sont, pour l’écrivain, la dernière phase de travail sur le texte. Ce qu’il modifiera restera. Après, il sera trop tard pour se dire « j’aurais dû.. », « il aurait mieux fallu… ». C’est la première étape du voyage extérieur. Après avoir été un voyage intérieur pendant longtemps, jusqu’à ce que je le sente en accord avec cette musique que j’entends dans ma tête quand j’écris, il s’agit de lâcher le texte, le pousser enfin vers ceux à qui il est destiné. Tout est désormais possible. Que cette musique résonne chez le lecteur. Qu’il la fasse sienne. Qu’elle ne résonne pas. Qu’elle sonne faux. Une fois le bateau lancé, aucune prise sur ce mystère. Allez commander à l’océan et aux vents! Après avoir écrit le texte et avant de le lâcher, il y a la préparation de copie par l’éditeur et les corrections d’épreuves. L’écrivain reçoit son texte annoté puis corrigé —ce mot !— Il va alors relire plusieurs fois son texte tamisé par ces filtres extérieurs. Lire son texte avec l’œil critique aiguisé, ne pas se laisser bercer par les chants de ses propres sirènes. Prendre de la hauteur, mettre à distance ce qui a été porté intimement pendant si longtemps. Le lire comme un lecteur extérieur. Lire ce qui est écrit et non ce qu’on a voulu écrire. Presque impossible. C’est le moment de laisser entrer dans la barque d’autres regards, d’autres lectures, celles des éditeurs, de la correcteurs. L’éditeur est le premier lecteur. Son œil professionnel est censé —aussi— repérer les incohérences, traquer les répétitions, pointer le flou, poser des questions dérangeantes. Un travail délicat, périlleux. A chacun ses sirènes. L’éditeur est la première épreuve de l’odyssée du texte. Je déchire l’enveloppe blanche où une main a écrit « URGENT » et feuillette le manuscrit annoté. L’éditrice a posé ici et là des marques pour souligner les passages qui l’avaient touchée. Elle a dessiné quand elle a aimé, écrit quand un passage posait question. L’épreuve s’adoucit. Forte des sourires, je peux lire les remarques. Elles sont justes, elles servent le texte. Déjà, cela me titille de voir comment je vais faire bouger ci ou modifier ça. Quand une observation sert le texte, nul besoin de réfléchir pour le savoir, je le sens. Au lieu d’être angoissante ou pénible, la critique devient excitante et enrichissante. Je lis les observations et les signes comme si je lisais la lecture de la lectrice. Lire par dessus l’épaule des lecteurs est un privilège rare. Une éditrice enthousiaste, une bénédiction. Les jours prochains, LES ÉVEILLEURS en veille, je me consacre à LA VRAIE VIE DE L’ÉCOLE. J’ai préparé le terrain en faisant provision de noix et de noisettes ­ —ces dons des arbres­ gagnés à la course avec l’écureuil. Je dissiperai les doutes en cassant les coquilles avec ma vieille tête de marteau sans manche. Et la chair blanche, à la fois tendre et encore amère, viendra nourrir l’écriture. Hissons les voiles ! P.A.

Faire face ou fuir

Pas d’écriture aujourd’hui. Des obligations familiales, administratives, scolaires (ah, les joies du futur antérieur!) et, puis, soudain, l’irruption de la violence. Un voisin perd ses nerfs pour une histoire stupide de radio trop forte. Il hurle, s’avance et s’arrête, son visage à deux centimètres du mien, il éructe des ordres. Parce que je ne recule pas, parce que —sur le coup— je n’ai pas peur, il serre les poings, un rictus le transforme en un inconnu écumant de rage. Pourquoi? Le pouvoir. Le pouvoir de la présence d’un corps de 90 kg sur un corps de 53 kg —euh, 55?. D’un homme sur une femme. D’un propriétaire sur une locataire. Le pouvoir qu’il croit avoir, qu’il aimerait avoir. Parce que je ne lui accorde pas ce pouvoir, il est à deux doigts de me frapper. Sans raison. J’ai vécu, cette année écoulée, une succession de situations de stress. L’adrénaline nous permet de faire face au stress. Devant le danger, deux types de réaction, faire face ou fuir. Parfois, le danger est trop grand, il faut fuir. Ce n’était pas le cas. La stupidité —une situation stupide, un homme stupide— primait sur le danger. Ensuite, une déferlante d’émotions rétrospectives. Stupéfaction. Peur. Colère. La peur se raisonne. La colère passe. Quant à la stupéfaction… Il faudra réfléchir, comprendre. Il faudra écrire. A demain !

Rêver éveillée

Le temps de  l’écriture comporte un temps de non-écriture. Invitation. préparation. Germination. Comme pour tout. Se préparer à faire, en écoutant passer les perruches ou les corneilles —c’est selon. Se lier à la présence fondamentale des arbres. Ne pas s’énerver. Ne pas s’angoisser. Garder confiance. Regarder les idées passer, se placer. Laisser faire les travaux d’approche. Le dieu n’annonce jamais sous quelle forme il se manifestera. Souvent, l’écriture arrive d’abord par les rêves. Les nuits deviennent denses ou blanches, toujours remuées. Le temps bascule. Il n’est plus quelque chose que l’on peut hâter, réduire, accélérer, contre laquelle on peut se battre. Il est le matériau même de l’écriture. L’occuper goutte à goutte, insuffler de l’espace et du souffle entre les gouttes pour qu’elles choisissent leur destin de vapeur ou d’océan. Laisser monter la mémoire et l’oubli. Rêver éveillée. A demain ! P.A.

Transportée à 15 ans, au Brésil…

Par une amie revenant du Brésil, ma mère m’envoie du café, du riz, du savon. Des denrées qu’on trouve à foison ici.  Pourtant le café que je bois en écrivant ces lignes alors qu’il pleut par la fenêtre n’a pas la même puissance. Le riz n’a pas la même « croustillance ». Le savon dégage un autre parfum. Et la senteur qui émanera de la terre après la pluie n’est pas non plus la même que là-bas. Saveur, parfum, texture. Ces éléments si fugitifs, immatériels sont suffisants pour me transporter instantanément au Brésil, plus rapidement qu’un Boeing. Blottie dans le hamac, une tasse de café et une part de gâteau de ma grand-mère (qui n’est pas ma grand-mère qui est ma grand-mère) à portée de main. Je lis. A côté, dans la bibliothèque, ma mère écoute Debussy;  dans l’aquarium, les poissons s’abandonnent à la musique. Je lis. Plus loin, mes frères courent avec les chiens. Je lis. Mon père fume sa pipe en pensant à un nouvel étage pour la maison; il est vivant. Je lis. J’ai 15 ans. Nous sommes au Brésil depuis un an. Je découvre que le soleil peut-être une certitude. Forte de ces présences, je peux me précipiter corps et âme dans toutes les aventures littéraires qui me tombent sous la main. Je peux lire pendant des jours à la suite, ne m’interrompant que pour manger. La nuit, je peux traverser des merveilles et des terreurs. Je me souviens de naufrager dans les récits de la Shoah et d’émerger, les yeux écrabouillés d’horreur, au petit déjeuner fait de fruits et d’oiseaux. C’est l’époque où j’ai commencé à lire systématiquement, dévastant par ordre alphabétique les rayons bien fournis de la bibliothèque du Lycée Pasteur. Et la poésie. C’est aussi l’époque où je passais des heures à peindre (très mal) les paysages du Sitio. La même tentative que pour l’écriture : restituer l’émotion que fait naître la beauté. Comment exprimer les émotions qui m’épinglaient devant un paysage, une fleur, un ciel, un garçon? Quand j’invoque un personnage, je le perçois dans un environnement de couleurs, sons, parfums. Je vois le paysage autour de lui. Je me demande qui sont ses frères, ses sœurs, quelle solidité a la présence de son père, quelle musique porte le rire de sa mère, quel regard ont les chiens, quel vent dans les arbres. Ces éléments intangibles composent sa consistance. Le léger comme composant consubstantiel à la réalité du récit. Le petit comme élément fondateur du tout. Ce n’est pas tant que je compose les personnages en accolant à Chandra l’odeur du pain frais, à Claris un geste impatient de la tête, à Maya une musique des mots, à Deli les délicieuses effluves de la cuisine, à Jwel le sifflement de la flèche. C’est plutôt que je les appelle, je les invite, et quand ils sont là, je les observe en retenant mon souffle, pour comprendre qui ils sont. Ce n’est pas vrai que tous les nouveaux-nés se ressemblent, si ce n’est qu’ils ont tous en commun ce lien immaculé qui les rattachent encore à tous les mystères et à toutes les réponses. On ne compose pas un enfant, on ne le façonne pas. On le désire, on l’accueille, on l’observe. On fait au mieux pour l’accompagner afin qu’il se révèle à lui-même et au monde, le plus librement possible. De la même façon, les personnages se révèlent. Puis, une fois qu’ils sont là, ils racontent l’histoire. Cela semble magique. C’est du travail. Du travail magique. A demain. P.A.

Comme un moine autour de son puits

Je tourne autour comme un moine autour de son puits. Je trie, j’archive, je range, je nettoie, j’organise. Travaux d’approche. Dans quelques jours, je vais reprendre le récit des EVEILLEURS. Comme à chaque début de tome, je commencerai par reprendre les notes, les résumés, les tableaux, les plans. Replonger dans ce fleuve fait d’organisation et de lâcher-prise, de contrôle et de hasard, d’inspiration et de doutes, d’émerveillement et d’angoisse, de nuits, de jours. L’écriture. Je sais qu’une fois que j’y aurai glissé un orteil, je serai happée. Les personnages, l’intrigue ne me lâcheront plus. J’y penserai en prenant ma douche, je prendrai des notes au supermarché, mes nuits seront plus habitées que jamais et les jours n’auront pas assez de leurs huit heures de travail. J’évoluerai dans cet espace-temps particulier qui plaît aux chats et fait rire les enfants qui savent qu’ils doivent être patients parce que je perds les clés, le téléphone, cherche les lunettes qui sont accrochées autour du cou, dors mal, suis incommunicable le matin et qu’ils se régaleront (cuisiner aide à la création comme tout le monde le sait). Le temps va devenir impossible. D’autant que la pression de terminer LES EVEILLEURS vient s’ajouter à celle de commencer un nouveau tome. C’est ce processus que je veux partager avec vous. Sans triche. Ce ne sera pas toujours glamour, excitant, intéressant. J’écrirai ce qui se passe, jour après jour, au fil du travail. J’aimerais bien ne sauter aucun jour mais ce sera peut-être le cas. Certains messages seront sûrement très courts. Vous n’êtes pas à l’abri d’incohérence, de trépignements énervés, de pétage de plomb, d’accès de joie, d’extase béate. Bref, nous verrons bien ! Je veux, dès maintenant, vous prier de me pardonner si je ne réponds pas aux messages que vous laissez ici. Pourtant, depuis avant-hier, les doigts me brûlent de répondre à vos mots qui sont comme de l’eau fraîche coulant dans la gorge. Mais je sais que je ne pourrai bientôt plus le faire et ce ne serait pas juste d’écrire à certains et pas à d’autres. Vous répondre bien, vous répondre vraiment, prend du temps. Faire les choses bien demande du temps. Et, dès que j’aurai trempé ce fameux orteil, le temps tout entier —sauf le temps sacré des enfants— sera celui des EVEILLEURS. Néanmoins, sachez que non seulement je lis vos messages mais je les relis. Ils sont le carburant qui fait démarrer le moteur le matin. Savoir que vous êtes à mes côtés est essentiel.  Alors, je vais faire pire que de ne pas répondre: je vais vous inviter à continuer à mettre des petits mots par ci, par là, au gré des messages, quand l’envie vous viendra, même s’ils ne sont pas longs. A chaque fois que vos noms apparaissent sur l’écran, c’est une bouffée de bonheur. Autant de phares qui disent: nous sommes là, viens, viens, c’est par ici… A demain !

Se blottir entre les pages et dormir

L’automne s’annonce. Les maïs ont perdu leur flamboyance, les sols seront bientôt nus, les noix à terre. En rentrant du collège par le Chemin des Abeilles, je me repais de la vision des terres vallonnées, brunes et blondes, des petits rapaces survolant les champs labourés et le souvenir d’une biche croisant les hauts blés. Impossible de ne pas penser aux EVEILLEURS. J’ai emprunté ce chemin des centaines de fois, accompagnant au collège un enfant, puis l’autre. Ces terres ne sont pas les miennes —quelles sont-elles? A venir?— mais elles sont familières. Au moment de quitter ce que l’on connaît, ce qu’on laisse derrière soi paraît plus rassurant qu’il ne l’a jamais été. C’est peut-être le dernier automne sur ces terres, dans cette maison, le dernier livre écrit dans cette cabane. Peut-être… Moins qu’une volonté, c’est le parfum des adieux que je sens. La sensation avant la décision. Faire ses adieux est un art délicat. Le processus d’écriture m’a toujours fascinée. Dès l’adolescence, je dévorais les journaux d’écrivains et leur correspondance: Virginia Woolf, Anaïs Nin, Flaubert, Rilke, Sylvia Plath, Katherine Mansflield, Marguerite Yourcenar. Ce qui m’intéressait était la relation entre la vie quotidienne et leur travail, l’alternance des doutes et des enthousiasmes, la naissance des idées. Je ne cherchais pas des informations ou des conseils, j’étais curieuse de savoir comment cela se passait pour eux. Longtemps, je n’ai écrit que de la poésie. Le temps de la poésie est particulier. Rechercher les mots justes, le rythme approprié, la traduction au plus près de la musique interne faite d’émotions, de sensations, d’émerveillements. Beaucoup de temps pour peu de mots. Parfois, des mois pour quelques lignes. Un texte n’était abouti que lorsque j’avais la sensation —parfaitement subjective— d’avoir dit au mieux ce que je ressentais. Cela me convenait parfaitement. Je n’étais pas pressée. Je ne pensais pas être lue un jour. Le temps de l’écriture était un temps hors du temps. Je n’ai pas vraiment travaillé autrement pour le premier tome de LES EVEILLEURS. L’écoute, la concentration, l’ouvrage repris encore et encore. Mais, soudain, il y avait une histoire à raconter, dix histoires, maintes mélodies, différents instruments. Une symphonie ! Moi qui doutais de pouvoir écrire plus que 99 pages, j’ai été emportée par un fleuve bouillonnant, imprévisible, alternant tourbillons et calme plat, rochers, mousses, profondeur et surface, eaux limpides et boueuses. Une multitude d’êtres vivants et le chatoiement des arbres ! J’ai nagé, surnagé, coulé, flotté, ouvert les yeux sous l’eau, j’ai frissonné, j’ai compté les pierres et les nuages, j’ai regardé. Ces onze dernières années, avec LES EVEILLEURS,  j’ai observé avec étonnement la façon dont mon travail s’inscrivait dans le temps réel —celui des montres et des calendriers. Pourquoi le temps passe t-il si vite lorsque j’écris alors que le processus est si long? Comment les douze mètres carrés de la cabane au fond du jardin se transforment-ils en château, villages, cols, montagnes, forêts? Pourquoi une certaine pièce du puzzle met-elle des semaines à trouver sa place alors que, d’autres fois, tout coule comme de l’eau de source? Comment un personnage imprévu s’impose t-il si fortement que je pourrais le toucher? Par quels processus mon cerveau transforme t-il des pensées en mots, des émotions en dialogues, des êtres imaginaires en personnages vivants et tout cela en images en mouvement? Ce que je sais c’est que, dans le récit, chaque personnage possède un rythme propre. Certains se dévoilent très vite, d’autres jamais. Il y a les bavards, les taiseux, les meurtris, les surpris, les poétiques, les bénis, les révoltés. Il y a ceux qui mourront. Ceux qui naissent au bout des doigts par surprise. Certains agissent, d’autres observent. Certains se promènent, d’autres se fixent. Exactement comme dans la vie. Ils grandissent, mûrissent et s’expriment lorsqu’ils sont nourris par l’attention, l’intention, l’amour. Ils portent en eux le récit. Le récit dans sa globalité tissé des récits de chacun. Je me sens parfois comme une araignée essayant de faire tenir ensemble tous ces fils transparents. J’aime les araignées, je répugne à détruire leurs œuvres quand je fais le ménage dans la cabane. Elles me parlent de la délicatesse de la solidité, de la fragilité de tout, de persévérance, d’éternel recommencement. Lorsque je m’impatiente, elles me rappellent que j’ai été cet enfant, cette jeune fille qui passait des heures à tamiser ses sensations, à guetter le mot juste, à regarder. Elles me rendent au le temps de l’écriture. Il n’est pas toujours été facile de faire coïncider les différents temps. L’éditeur travaille dans le temps du marché, des ventes, des contrats, des bilans comptables, de la fabrication. L’éditeur rend le livre réel. Pour que tous ces mystères prennent corps et s’inscrivent dans ce qu’on appelle la réalité, il faut aussi respecter ce temps-là. Parfois, les temps se heurtent, ils doivent s’adapter les uns aux autres. Mon éditrice m’a merveilleusement accompagnée toutes ces années. J’ai écrit ce que je voulais écrire, comme je voulais, avec la certitude de son regard fin et bienveillant. Le lecteur évolue dans le temps du désir, du plaisir, du jeu. Il dévore, il veut savoir, il s’impatiente. Comment faire lorsqu’il lit en deux jours ce que je mets un an à écrire? Plus que tout, je voulais que le lecteur lise vraiment. Je veux dire, pas seulement qu’il veuille savoir la fin de l’histoire, qu’il égrène des péripéties, mais qu’il s’installe dans la lecture. Qu’il ait ce plaisir, ce vertige là. Celui, qui a façonné, consolé, délacé mon enfance et mon adolescence. Plonger dans un livre, être happée, bouleversée, emportée, vouloir se blottir entre les pages et dormir. Je souhaitais qu’il se retrouve dans LES EVEILLEURS comme à la maison, comme dans une cabane dans les arbres, un phare, un voyage. A l’orée de chaque nouveau tome, à la fin de chaque volume, je me demande si je vais réussir. Quand vous répondez à mon invitation, tant d’années après la parution du premier tome, quand je lis vos mots en réponse aux miens, la traversée se déploie plus libre, plus

Regarder devant

Mon dernier article ici date du 29 décembre 2014. Une longue absence sur laquelle je ne poserai que quelques mots: deuil, pertes, repères pulvérisés, tristesse, le temps retourné, kidnappé. Bataille avec les tentacules jour après jour. J’ai la sensation de sortir d’un long tunnel. Je cligne encore des yeux. Mais je sors ! Il est temps, maintenant, de regarder devant… et, devant, il y a : LES EVEILLEURS ! Un point donc sur LES EVEILLEURS. En mars, j’ai envoyé à la maison d’édition LE NOMADSTERE, volume 5 des Eveilleurs. Mais LE NOMADSTERE ne sera pas publié en 2017. Pourquoi? Parce que la maison d’édition a fait le choix de ne pas lancer le volume 5 avant d’avoir le volume 6 en mains. En outre, elle aimerait qu’il s’agisse du dernier volume de la saga. Pourquoi? Les arguments sont commerciaux, tactiques. Elle souhaite relancer la série, beaucoup de temps est passé etc. En résumé: nous avons un tome prêt qui doit attendre que le prochain soit écrit pour voir le jour. Et le challenge suivant: clore le cycle en un seul volume. La vie est surprenante. Nous n’avons pas, sur le temps, les événements, la vie en somme, le contrôle que nous pensons avoir. Tout, tout le temps, peut changer. Surprises. Impermanence. Quand la vague est trop forte, résister est inutile et épuisant. Economiser sa respiration, tenir et —plus difficile— garder confiance, se nourrir de minuscules bonheurs, parier sur la lumière. La vague finit par passer. Toujours. On peut alors considérer l’horizon vide et limpide et recommencer. J’ai commencé à prendre des notes pour LES EVEILLEURS en 2000. En 2006, j’ai commencé à écrire le premier tome. SALICANDE est paru en 2009. Cela fait plus de onze ans que je bâtis cet univers, que je circule entre Salicande et Vieil Ambre, que je me promène dans les limbes, que je vis nuit et jour avec les personnages. Onze ans que je vous rencontre, que je vous écris, que vous m’écrivez, que vous m’accompagnez. Je n’ai jamais cessé de recevoir des messages de lecteurs qui découvraient LES EVEILLEURS. Entre mai 2016 et janvier 2017, je n’ai pas pu travailler mais, à travers vous, le récit continuait à vivre. Ainsi, au moment de retourner à la cabane pour écrire ce qui sera peut-être le dernier tome de cette longue récit que je porte en moi depuis tant d’années, j’ai une proposition à vous faire. Et si je tenais un journal d’écriture du tome 6 des Éveilleurs? Un récit du work in progress. Un journal de bord de la traversée. Les petits pas de l’écriture en cours. Un accompagnement régulier en direct, par les lecteurs, du processus d’écriture du dernier tome de la saga. Le quotidien de l’écriture. L’écriture dans le quotidien. Seriez-vous intéressés? Nous disons-nous à bientôt? P.A.