Quand j’écris, je n’ai d’autre but que d’écrire. Le point de départ est une impulsion, un désir, le désir d’écrire sans savoir qui —ou quoi— va arriver sous ma plume. Je ne cherche pas à amener la lectrice, le lecteur, à réfléchir à tel thème et encore moins à lui apprendre ceci ou cela. Il y a des chances que les lecteurs en sachent plus que moi sur à peu près tout.
J’écris de la fiction. Pas un essai. Pas une démonstration. Pas une thèse. Pas un pamphlet. Seulement de la fiction. Ce sont souvent les personnages qui se présentent d’abord et je découvre les thématiques et les décors en cours d’écriture. Je vis longtemps avec les personnages et ils me racontent l’histoire.
Je fais des plans, nombreux et divers, non pour juguler le récit mais pour explorer toutes les possibilités, pour baliser les territoires où l’écriture va jouer librement et donc les déborder. J’espère le débordement, le moment où je serai surprise par des événements ou des personnages imprévus. L’histoire, sans cesse, essaye d’échapper au cadre. Elle est plus libre, plus grande que le cadre. Plus libre et plus grande que moi. Heureusement, sinon on ne s’amuserait pas autant, elle et moi. Écrire est un but en soi. À vrai dire, « juste » écrire (et écrire juste) est le principal.
J’étais enfant lorsque j’ai inventé et écrit une histoire pour la première fois. C’était un jeu, c’était simple : je pêchais les histoires qui flottaient dans ma tête et autour de moi. Si j’étais assez concentrée, assez détendue, assez curieuse, le filet ne revenait jamais vide. J’ai longtemps écrit sans même imaginer être lue. Un enfant joue pour lui-même, parce qu’il en a besoin, parce qu’il en a envie, parce que cela lui fait du bien, pas pour les autres. L’écriture est une nécessité et une évidence. Être lue est un espoir.
En écrivant, je pense aux lectrices et aux lecteurs comme on pense au rivage lorsque l’on navigue. Il faut le quitter pour prendre la mer dans l’espoir de le retrouver. Mais, avant, il y a le voyage ! Le voyage, ses surprises et ses embûches, ses haltes, ses accélérations, ses hasards et ses merveilles. Il y a tant à faire : s’orienter, se concilier les vents, faire les bons gestes aux bons moments, trouver le flow et le conserver, accepter le calme plat et les tempêtes, ne pas renoncer, dormir, ne pas dormir. Traverser. Être traversée.
Les Éveilleurs est un périple singulier. Depuis que les lectrices et les lecteurs ont embarqué avec moi, ils pagayent à mes côtés, goûtent le vent, hissent et réparent les voiles. J’ignorais que je serais partie si longtemps, qu’il y aurait tant d’aléas, de tourmentes. J’aurais pu renoncer cent fois à terminer d’écrire cette saga. Peut-être l’aurais-je fait s’il n’y avait les lecteurs. Peut-être me serais-je remise à la poésie, la poésie que personne ne lit. Mais, à chaque fois que cette idée me tentait, un mail ou un message arrivait, celui d’une lectrice qui demandait des nouvelles des Éveilleurs ou d’un lecteur qui découvrait le livre et m’en donnait. Une lectrice, un lecteur, suffit à nourrir le courage — ce mouvement du cœur. Ces livres-là sont adressés, ils ont des destinataires. Tant que les lectrices fidèles ou de parfaits inconnus m’écriront pour me parler de leur lecture, je continuerai à écrire Claris, Jad, Maya, Bahir, Blaise et tous les autres.
Écrire est un mystère.
Ce qui me meut c’est de pousser la porte, explorer les mystères.
Les visiter et être visitée par eux.
Et, parfois, les porter à la lumière pour les lâcher afin qu’ils aillent visiter d’autres personnes qui les interpréteront à leur guise, selon leur propre éclairage.
Quand les lectrices et les lecteurs m’offrent le cadeau de leur lecture, les lumières s’additionnent. Tout s’illumine. De la magie pure. Personne ne contrôle la magie. On s’exerce, on y croit, on espère qu’elle se fera, on l’accueille quand elle arrive. C’est du taf, croyez-moi.