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Transportée à 15 ans, au Brésil…

Par une amie revenant du Brésil, ma mère m’envoie du café, du riz, du savon. Des denrées qu’on trouve à foison ici.  Pourtant le café que je bois en écrivant ces lignes alors qu’il pleut par la fenêtre n’a pas la même puissance. Le riz n’a pas la même « croustillance ». Le savon dégage un autre parfum. Et la senteur qui émanera de la terre après la pluie n’est pas non plus la même que là-bas.
Saveur, parfum, texture. Ces éléments si fugitifs, immatériels sont suffisants pour me transporter instantanément au Brésil, plus rapidement qu’un Boeing.
Blottie dans le hamac, une tasse de café et une part de gâteau de ma grand-mère (qui n’est pas ma grand-mère qui est ma grand-mère) à portée de main. Je lis. A côté, dans la bibliothèque, ma mère écoute Debussy;  dans l’aquarium, les poissons s’abandonnent à la musique. Je lis. Plus loin, mes frères courent avec les chiens. Je lis. Mon père fume sa pipe en pensant à un nouvel étage pour la maison; il est vivant. Je lis. J’ai 15 ans. Nous sommes au Brésil depuis un an. Je découvre que le soleil peut-être une certitude.
Forte de ces présences, je peux me précipiter corps et âme dans toutes les aventures littéraires qui me tombent sous la main. Je peux lire pendant des jours à la suite, ne m’interrompant que pour manger. La nuit, je peux traverser des merveilles et des terreurs. Je me souviens de naufrager dans les récits de la Shoah et d’émerger, les yeux écrabouillés d’horreur, au petit déjeuner fait de fruits et d’oiseaux.
C’est l’époque où j’ai commencé à lire systématiquement, dévastant par ordre alphabétique les rayons bien fournis de la bibliothèque du Lycée Pasteur. Et la poésie. C’est aussi l’époque où je passais des heures à peindre (très mal) les paysages du Sitio. La même tentative que pour l’écriture : restituer l’émotion que fait naître la beauté. Comment exprimer les émotions qui m’épinglaient devant un paysage, une fleur, un ciel, un garçon?
Quand j’invoque un personnage, je le perçois dans un environnement de couleurs, sons, parfums. Je vois le paysage autour de lui. Je me demande qui sont ses frères, ses sœurs, quelle solidité a la présence de son père, quelle musique porte le rire de sa mère, quel regard ont les chiens, quel vent dans les arbres. Ces éléments intangibles composent sa consistance. Le léger comme composant consubstantiel à la réalité du récit. Le petit comme élément fondateur du tout.
Ce n’est pas tant que je compose les personnages en accolant à Chandra l’odeur du pain frais, à Claris un geste impatient de la tête, à Maya une musique des mots, à Deli les délicieuses effluves de la cuisine, à Jwel le sifflement de la flèche. C’est plutôt que je les appelle, je les invite, et quand ils sont là, je les observe en retenant mon souffle, pour comprendre qui ils sont.
Ce n’est pas vrai que tous les nouveaux-nés se ressemblent, si ce n’est qu’ils ont tous en commun ce lien immaculé qui les rattachent encore à tous les mystères et à toutes les réponses. On ne compose pas un enfant, on ne le façonne pas. On le désire, on l’accueille, on l’observe. On fait au mieux pour l’accompagner afin qu’il se révèle à lui-même et au monde, le plus librement possible.
De la même façon, les personnages se révèlent. Puis, une fois qu’ils sont là, ils racontent l’histoire. Cela semble magique. C’est du travail. Du travail magique.

A demain.

P.A.

🪶Abonnez-vous à ma newsletter mensuelle Écrire comme on respire. On y parle des Éveilleurs, du processus d’écriture, des lecteurs…
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4 commentaires

Tatsu 11 septembre, 2017 - 3:34 pm

Merci pour ce billet savoureux (en te lisant je viens de déguster une gorgée de café brésilien, alors qu’un souci médical m’interdit ce breuvage dont l’arôme, la suavité, l’amertume me manquent, et d’entendre le chant de la mer, pourtant bien loin de Paris) et émouvant !!!
Beaucoup souri également, tant j’ai retrouvé ma pratique de conteuse dans ton processus créatif, invoquer, accueillir, observer, écouter puis les laisser nous raconter leur histoire… Nous ne sommes jamais que des scribes attentifs et émerveillés ! Pointilleux aussi, trouver le terme adéquat, la nuance la plus juste… C’est qu’il s’agit de chirurgie à cœur ouvert 🙂

Merci <3

Isa Salinier 11 septembre, 2017 - 8:56 pm

plaisir de te lire et de partager ta façon de rencontrer tes personnages.
Bonne soirée

Valériane 12 septembre, 2017 - 2:15 am

Comment passer une meilleure soirée qu’en finissant un merveilleux livre (Une vie entre deux océans, M.L Stedman ; qui a aussi été adapté en un très bon film) et en lisant tes mots ensuite !
Bonne soirée,
Je t’envois des sourires du Canada,
Valériane

Lys 12 septembre, 2017 - 12:16 pm

Merci pour tous ces beaux mots, merci pour nous faire partager ce voyage. J’avais 14 ans quand j’ai découvert Les Eveilleurs, j’en ai cinq de plus aujourd’hui et ils occupent toujours cette petite place dans mon cœur, bien à l’abri avec mes rêves et évasions solitaires. La lecture et l’écriture sont des compagnes de vie et j’ai décidé de marcher avec elles, quoi qu’il arrive. Merci de m’avoir permis d’en explorer un nouveau chemin à travers vos écrits. Je continuerai de suivre ce journal avec beaucoup d’attention et de joie.

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